Et si à l’origine du cancer, il y avait un virus…

surpoids et obésité

Plus de deux cents virus sont déjà connus pour infecter les humains et environ la moitié seulement sont des agents pathogènes1. Bien que les virus soient principalement considérés comme des agents pathogènes, ils jouent également un rôle fondamental dans l’évolution et la maturation du système immunitaire humain. Les virus non associés à des pathologies particulières sont appelés virus « commensaux ». Il peut s’agir de bactériophages, des virus qui infectent les bactéries, ou des rétrovirus endogènes, des virus qui s’intègrent aux chromosomes humains et y persistent indéfiniment. Environ 8% du génome humain est composé de rétrovirus endogènes. Ce sont des séquences dérivées d’infections rétrovirales antérieures et insérées de manière permanente dans différentes régions du génome humain. De nombreux virus qui infectent les humains peuvent jouer un rôle bénéfique en diminuant la réponse inflammatoire2 ou en protégeant de l’infection par d’autres pathogènes3. Néanmoins, la stratégie de nombreux virus consiste à déprimer le système immunitaire pour pouvoir s’installer dans l’organisme et y persister. C’est le cas de certains virus herpétiques, du virus de la rougeole et du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Le VIH a tellement perfectionné cette stratégie, qu’il finit par tuer son hôte qui meurt d’infections opportunistes liées à la baisse des lymphocytes T4 et à l’immunodépression qui s’ensuit.

Tous les humains sont infectés par plusieurs virus de l’herpès au cours de leur enfance. Après l’élimination des infections aiguës, les virus de l’herpès entrent dans un état de dormance appelé latence. Les exemples d’herpès virus qui infectent l’homme et qui persistent dans un état de latence sont le virus HSV-1 responsable du bouton de fièvre de la lèvre, entre autres, l’Epstein Barr virus responsable de la mononucléose infectieuse encore appelée la maladie du baiser, et le cytomégalovirus humain (HCMV).

Vous avez une chance sur deux d’être infecté par le cytomégalovirus

Le HCMV est un virus appartenant à la famille des herpesviridae. L’infection à HCMV est très fréquente, avec une séroprévalence parmi la population mondiale allant de 40 à 99% selon la situation géographique et le statut socioéconomique. Le cytomégalovirus coévolue avec son hôte depuis 120 millions d’années, c’est-à-dire qu’il était présent sur terre bien avant le début de l’humanité. Le HCMV est un virus à ADN double brin, le plus gros virus de la famille des herpès virus avec plus de deux cents gènes, la plupart étant utilisé par le virus pour se répliquer et se cacher du système immunitaire4. L’infection par ce micro-organisme se déclare généralement au cours de l’enfance, pouvant infecter la plupart des organes et des tissus et une grande variété de types cellulaires telles que les monocytes, les granulocytes, les fibroblastes, les cellules dendritiques, les cellules épithéliales et endothéliales, les cellules du système nerveux central et les cellules musculaires lisses. L’infection se fait à travers tous les fluides corporels, tels que les larmes, la salive, l’urine, le sperme, ou le lait maternel d’un individu infecté5. Comme tous les virus herpétiques, il persiste dans l’organisme après l’infection aiguë initiale dans un état de latence6.

Le cytomégalovirus est responsable de plusieurs pathologies

En l’absence d’immunité adéquate, l’infection présente un risque de maladie mortelle pour les patients atteints du syndrome d’immunodéficience acquise7 et ceux qui suivent un traitement immunosuppresseur pour le traitement du cancer8. Le HCMV est également la principale cause de complications infectieuses après une greffe d’organe solide ou de cellules souches, pouvant se traduire par une pneumonie interstitielle, une gastro-entérite, une rétinite, une hépatite, une défaillance de la greffe et un décès. En outre, le HCMV est la cause infectieuse la plus fréquente de malformations congénitales. Les trois quart des infections proviennent de la réactivation du virus à partir de l’état de latence chez les femmes enceintes séropositives9. Même chez les personnes immunocompétentes, le cytomégalovirus est un facteur de risque de développement de maladies cardiovasculaires10, d’immunoscénescence11, de fragilité et de cancer. Il est associé à un risque de mortalité plus élevé12.

Le rôle du cytomégalovirus dans les processus oncogènes

Plusieurs infections virales chroniques sont liées à la cancérogenèse. Tout le monde a attendu parler du rôle du papillomavirus dans le cancer du col de l’utérus mais connaissez-vous le lien entre l’Epstein Barr virus et le lymphome de Burkitt ou le lien entre le cytomégalovirus (HCMV) et plusieurs types de cancer. Le HCMV a été découvert dans plusieurs types de tumeurs, des tumeurs colorectales, de la prostate, des ovaires, dans la maladie de Hodgkin et les glioblastomes13.

Le cytomégalovirus a toutes les caractéristiques d’un virus oncogène

Le HCMV répond à toutes les caractéristiques d’un virus oncogène. En effet :

  1. Le virus peut être retrouvé dans plus de 90 % des tumeurs épithéliales humaines.
  2. Les cellules infectées par le virus sont confinées dans les tumeurs et les métastases et ne se trouvent pas dans les tissus normaux adjacents.
  3. Le niveau d’infection par le virus dans les tumeurs est en corrélation négative avec le résultat positif de la maladie.
  4. Le traitement de l’infection par une thérapie anti-CMV chez les patients atteints d’un cancer positif au HCMV indique dans certains cas un pronostic amélioré.
  5. L’infection à HCMV présente un tropisme cellulaire large et est présente dans les cellules épithéliales de la tumeur, les macrophages, les cellules endothéliales.
  6. Les produits géniques du virus régulent de multiples voies et processus cellulaires qui favorisent la multiplication et la survie des cellules cancéreuses, un concept nommé oncomodulation14.

Il existe des similarités troublantes entre les processus tumoraux et les infections virales chroniques à cytomégalovirus

Il existe de nombreux parallèles entre les processus tumoraux et l’infection virale chronique à CMV. Dans les deux cas on observe :

  1. Une reprogrammation du métabolisme énergétique : Glycolyse (effet Warburg) + acidification du milieu ;
  2. Un échappement au système immunitaire 15;
  3. Une augmentation des réponses inflammatoires chroniques de bas grade ;
  4. Et une activation des facteurs pro-carcinogènes.

L’échappement au système immunitaire

Le HCMV utilisent de nombreux moyens pour manipuler la cellule hôte et son environnement afin d’éviter la détection par le système immunitaire et rendre la cellule hospitalière pour une infection virale à long terme. Nous savons que la réponse immunitaire varie d’un individu à l’autre et que cette variation va dépendre à la fois de facteurs génétiques et environnementaux. D’après une étude réalisée sur des vrais jumeaux la variabilité apportée par l’infection par le HCMV sur la fonction immunitaire dépasse de loin la variabilité génétique. En effet, sur 204 mesures effectuées sur le système immunitaire 119 (58%) étaient liées à l’infection par le HCMV16.

Le plus étonnant avec le HCMV, c’est qu’il souffre d’un dédoublement de la personnalité. D’un côté il utilise les progéniteurs myéloïdes, les monocytes et macrophages et les cellules dendritiques impliqués dans la réaction inflammatoire et la réponse immunitaire pour se réactiver et se disséminer partout dans l’organisme, une stratégie qu’il a sophistiquée jusqu’à pouvoir infecter plus de 40% des enfants avant l’âge de trois à quatre ans. Il profite de l’activation de ces cellules lors d’une réponse inflammatoire pour sortir de l’état de latence et se réactiver. Les occasions sont donc nombreuses avec les différents stress internes et externes, physiques ou mentaux que l’organisme subit en permanence. Maintenant que le HCMV a trouvé une astuce pour se multiplier, il ne lui reste plus qu’à déjouer le système immunitaire inné et adaptatif. Pour arriver à ses fins, sa première cible concerne les cellules NK (Natural Killer) qui sont des lymphocytes immunitaires innés qui jouent un rôle essentiel dans l’immunité antivirale et anti-tumorale17 . Le HCMV pour de ne pas être démasqué dans les cellules infectées régule à la baisse le CMH de classe I à la surface des cellules afin d’empêcher la reconnaissance des peptides viraux par les lymphocytes cytotoxique T8, ce qui rend par contre les cellules sensibles à la destruction par les cellules NK. Pour éviter ce problème, le HCMV code pour une protéine UL16, qui interagit avec les récepteurs activateurs des cellules NK ULBP1 et ULBP2 et les séquestre dans la cellule18. Il est observé à la fois dans les infections à CMV et les processus tumoraux :

  • Un épuisement des LT cytotoxiques et des cellules NK ;
  • Une augmentation des macrophages M2 et des cellules myéloïdes suppressives ;
  • La mise en place d’un environnement tolérogène : cellules dendritiques tolérogènes, Treg, IL-10 ;
  • Une inhibition de la présentation antigénique ;
  • Et une expression de multiples récepteurs inhibiteurs (dont PD-1) ;

Le cytomégalovirus favorise aussi l’inflammation

L’inflammation chronique est une des dix caractéristiques essentielles au développement d’un processus tumoral19. L’infection par le HCMV favorise aussi l’inflammation. Lors de l’infection des monocytes par le HCMV, l’activation des voies NF-κB et PI3K participe à l’induction de la motilité des monocytes infectés, à leur migration à travers l’endothélium et plus tard à leur différenciation en macrophages pro-inflammatoires (M1) très favorables à la réplication du virus et à son adhésion aux cellules endothéliales20. Des facteurs inflammatoires, notamment le facteur de nécrose tumorale (TNF) -alpha, l’interleukine-6 (IL-6) et l’oxyde nitrique synthase 2 sont produits par les macrophages M1 après infection par le HCMV. L’augmentation de la production de cytokines pro-inflammatoires pourrait favoriser le développement du cancer21.

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Sources

  1. Parker, M. T. An Ecological Framework of the Human Virome Provides Classification of Current Knowledge and Identifies Areas of Forthcoming Discovery. Yale J. Biol. Med. 89, 339–351 (2016).
  2. Yang, J.-Y. et al. Enteric Viruses Ameliorate Gut Inflammation via Toll-like Receptor 3 and Toll-like Receptor 7-Mediated Interferon-β Production. Immunity 44, 889–900 (2016).
  3. Barton, E. S. et al. Herpesvirus latency confers symbiotic protection from bacterial infection. Nature 447, 326–329 (2007).
  4. Gatherer, D. et al. High-resolution human cytomegalovirus transcriptome. Proc. Natl. Acad. Sci. U. S. A. 108, 19755–19760 (2011).
  5. Cannon, M. J., Hyde, T. B. & Schmid, D. S. Review of cytomegalovirus shedding in bodily fluids and relevance to congenital cytomegalovirus infection. Rev. Med. Virol. 21, 240–255 (2011).
  6. Vancíková, Z. & Dvorák, P. Cytomegalovirus infection in immunocompetent and immunocompromised individuals–a review. Curr. Drug Targets Immune Endocr. Metab. Disord. 1, 179–187 (2001).
  7. Christensen-Quick, A., Vanpouille, C., Lisco, A. & Gianella, S. Cytomegalovirus and HIV Persistence: Pouring Gas on the Fire. AIDS Res. Hum. Retroviruses 33, S23–S30 (2017).
  8. Schlick, K. et al. Cytomegalovirus reactivation and its clinical impact in patients with solid tumors. Infect. Agent. Cancer 10, 45 (2015).
  9. Lanzieri, T. M., Dollard, S. C., Bialek, S. R. & Grosse, S. D. Systematic review of the birth prevalence of congenital cytomegalovirus infection in developing countries. Int. J. Infect. Dis. IJID Off. Publ. Int. Soc. Infect. Dis. 22, 44–48 (2014).
  10. Caposio, P., Orloff, S. L. & Streblow, D. N. The role of cytomegalovirus in angiogenesis. Virus Res. 157, 204–211 (2011).
  11. Pawelec, G. Immunosenenescence: role of cytomegalovirus. Exp. Gerontol. 54, 1–5 (2014).
  12. Wang, G. C. et al. Cytomegalovirus infection and the risk of mortality and frailty in older women: a prospective observational cohort study. Am. J. Epidemiol. 171, 1144–1152 (2010).
  13. Rahman, M., Dastmalchi, F., Karachi, A. & Mitchell, D. The role of CMV in glioblastoma and implications for immunotherapeutic strategies. Oncoimmunology 8, (2018).
  14. Herbein, G. The Human Cytomegalovirus, from Oncomodulation to Oncogenesis. Viruses 10, (2018).
  15. Mayer, D. A. & Fried, B. The role of helminth infections in carcinogenesis. Adv. Parasitol. 65, 239–296 (2007).
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  17. Robbins, S. H. et al. Natural killer cells promote early CD8 T cell responses against cytomegalovirus. PLoS Pathog. 3, e123 (2007).
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A propos de l’auteur

Karine Bernard

Naturopathe, formatrice, conférencière et docteur en sciences (spécialité immunologie), je suis la fondatrice de la méthode ISIS “Solutions en immunomodulation intégrative et systémique”. Je suis également à l’origine du site  immunonaturo.com, un blog dédié à la santé et au bien-être qui fait la part belle à votre système immunitaire.