La migraine est une céphalée commune avec une prévalence de 13% chez les hommes et de 33% chez les femmes1. C’est une maladie très invalidante avec des coûts personnels et sociaux élevés2. La migraine a été classée comme le facteur contribuant le plus au handicap chez les moins de 50 ans dans le monde. La migraine peut être considérée comme un trouble inflammatoire neurogène complexe3,4,5 dont la physiopathologie n’est pas encore totalement comprise. Et si vos intestins avaient un lien avec votre migraine ?
Quelles sont les causes de la migraine
La migraine a un caractère génétique, mais la concordance chez les jumeaux monozygotes est de seulement 20%, ce qui indique l’importance des facteurs environnementaux dans le développement de la maladie6. Un facteur environnemental qui peut jouer un rôle important est le microbiote intestinal. Le nombre de bactéries dans l’intestin humain dépasse celui des cellules humaines7. Plus de 25 maladies différentes sont actuellement associés à des altérations dans la composition de la flore intestinale. À l’heure actuelle, plus d’attention a été accordée aux maladies inflammatoires de l’intestin (MICI), les allergies, le diabète, et l’obésité8. Au delà des maladies gastrointestinales, le microbiote intestinal peut également contribuer à des maladies systémiques. Cela peut être causé par la migration de cellules immunitaires stimulées par la diffusion systémique de produits microbiens ou de métabolites, ou par la translocation bactérienne en raison de la fonction de barrière intestinale réduite9. Le cerveau et le tube digestif sont fortement connectés par l’intermédiaire du sytème nerveux, endocrinien et immunitaire10,11,12. La communication se produit dans les deux directions, non seulement du cerveau à l’intestin, mais aussi dans le sens contraire. Cette découverte récente sur le rôle de la flore intestinale dans l’axe intestin-cerveau suggère que le microbiote intestinal peut être associé avec les fonctions du cerveau et des maladies neurologiques comme la migraine.
Zoom sur les mécanismes de la migraine
Des recherches approfondies ont été menées afin de clarifier les mécanismes pathologiques de la migraine. Bien que des incertitudes demeurent, il a été indiqué que la migraine est une maladie du cerveau, probablement du tronc cérébral associée à une augmentation de la synthèse et de la libération du peptide relié au gène de la calcitonine (CGRP). Une crise de migraine peut être bloqué par des antagonistes de ce peptide3,13,14. La douleur est générée par les nocicepteurs des terminaisons nerveuses du trijumeau dans la dure-mère. De faibles niveaux de sérotonine peuvent sensibiliser les nocicepteurs des neurones du trijumeau15. Les données existantes soutiennent que les taux de sérotonine sont bas entre les crises mais augmentent pendant la crise16,17. Les agonistes de la sérotonine, comme les triptans et ergotamines, qui diminuent la sérotonine sont associés à un soulagement de la douleur aiguë13,14,15. Au contraire, les anti-dépresseurs tricycliques et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, qui sont associés à des augmentations de la sérotonine, sont utilisés pour la prévention de la migraine17. Les crises de migraine peuvent être aussi liées à la vasodilatation produite par l’oxyde nitrique, au stress par l’intermédiaire de la CRP (corticotrophine releasing hormone), aux cytokines pro-inflammatoires et à la dégranulation des mastocytes situés dans la dure-mère14.
Qu’on en commun les personnes qui souffrent de migraines ?
Une étude a examiné la relation entre les symptômes gastro-intestinaux et des maux de tête, y compris la migraine18. L’étude était une étude transversale basée sur un questionnaire auprès de plus de 51.000 habitants d’un comté en Norvège. L’étude a montré une prévalence plus élevée de maux de tête chez les personnes qui éprouvent des symptômes gastro-intestinaux régulièrement par rapport au groupe de contrôle sans plaintes gastro-intestinales. L’association entre les maux de tête et les plaintes gastrointestinales augmentent avec la fréquence des maux de tête. Donc à la fois la migraine et d’autres types de maux de tête sont plus fréquents chez les personnes se plaignant de troubles gastro-intestinaux.
La migraine est-elle une maladie inflammatoire ?
Le survol de la littérature suggère l’existence d’une relation assez forte entre les troubles gastro-intestinaux et la migraine. Un des liens entre les maladies inflammatoires et la migraine est l’augmentation des réponses immunitaires pro-inflammatoires. Dans les troubles intestinaux caractérisés par une perméabilité intestinale accrue comme IBS, l’IBD, et la maladie coeliaque, une augmentation des réponses immunitaires pro-inflammatoires a été rapportés19,20,21. L’augmentation des niveaux de cytokines pro-inflammatoires comme le facteur de nécrose tumorale alpha et l’interleukin1 beta ont été trouvés dans le sérum des patients migraineux au cours d’attaques de migraine22. Selon la susceptibilité génétique, les réponses pro-inflammatoires peuvent se produire dans différentes parties du corps, par exemple, dans le cas de la migraine sur les nocicepteurs du nerf trijumeau.
De même, la migraine est liée à une large gamme de troubles inflammatoires non gastro-intestinaux tels que l’asthme, l’obésité, le syndrome métabolique et les allergies23,24,25,26.
La migraine serait-elle une maladie de la perméabilité intestinale ?
La perméabilité intestinale et l’inflammation sont reliées de façon bidirectionnelles: l’augmentation de la perméabilité peut causer une inflammation, mais l’inflammation peut également entraîner une augmentation de la perméabilité intestinale27. Le microbiote peut contribuer de manière importante au développement de l’inflammation de bas grade en sécrétant des toxines telles que le lipopolysaccharide (LPS) qui peuvent être absorbées par notre organisme lors d’un stress physique ou psychologique, ce qui déclenche des réponses immunitaires et inflammatoires entraînant souvent une augmentation de la perméabilité intestinale. Le passage de lipopolysaccharides (LPS) à partir de la lumière intestinale dans la circulation déclenchent une forte réponse immunitaire pro-inflammatoires. Les niveaux de LPS passant dans la circulation augmentent lorsque la perméabilité intestinale augmente. L’augmentation de la perméabilité intestinale et de la translocation de LPS peut être causée par plusieurs facteurs, comme les médicaments, l’exercice, l’activation des mastocytes, l’alimentation, le stress, une alimentation riche en graisse, etc.28.
Zoom sur le LPS
Le LPS est un composant essentiel de la membrane externe des bactéries gram-négatif. Ce LPS s’accumule dans le côlon et passe dans le sang. L’augmentation des niveaux sanguins de LPS, ce que l’on appelle endotoxémie métabolique, génère une réaction inflammatoire. Les tissus cibles de l’inflammation générée par l’endotoxémie sont les entérocytes, le tissu adipeux, le foie et la paroi des vaisseaux sanguins. Les LPS transloqués sont détectés par des récepteurs appelés TLR (pour Toll-Like-Receptors) présents à la surface de certaines cellules et plus précisément le TLR-4, ce qui provoque la libération de cytokines pro-inflammatoires telles que le facteur de nécrose tumorale alpha (TNFα), l’interféron alpha (IFNα), l’interféron gamma (INFγ) et les interleukines (IL1β ou IL6), pouvant éventuellement entraîner une endotoxémie. L’activation des récepteurs TLR-4, a un effet sur la perméabilité intestinale en réduisant l’expression de certaines protéines présentent dans les jonctions serrées entre deux entérocytes comme les claudines et occludines. La conséquence est un relâchement des jonctions serrées ce qui permet le passage du LPS dans le sang. De plus, l’activation de l’axe HPA peut amener les mastocytes sous-épithéliaux à sécréter des médiateurs immunitaires tels que l’histamine, les protéases et les cytokines pro-inflammatoires, ce qui entraîne une augmentation de la perméabilité intestinale29. De petites quantités de LPS suffisent à créer une inflammation du tissu adipeux qui sera responsable d’une résistance à l’insuline, d’une augmentation de la sécrétion d’insuline à jeun et d’une augmentation de la masse graisseuse. Les concentrations de LPS dans le sang sont très influencées par le contenu de l’alimentation. Plus l’alimentation est riche en graisse et plus le taux de LPS est élevé30. Il existe des variations diurnes dans les taux sanguins de LPS qui s’élèvent la nuit et redescendent le jour et un régime riche en graisse durant quatre semaines fait disparaître ces variations pour des taux élevés en permanence. Le niveau d’augmentation des LPS reste toutefois dix à cinquante fois plus bas que celui atteint au cours d’une septicémie ou d’une infection aigüe. On parle ici d’endotoxémie métabolique31.
Est-ce que les aliments peuvent être cause de migraine
Tout le monde a attendu parler d’un collègue ou d’un ami se plaignant de migraine après avoir fait un repas trop copieux, avoir bu du vin blanc ou du champagne, ou après avoir mangé trop de chocolat. Mais quand est-il réellement ? Existe-t-il un lien entre la migraine et l’alimentation ou certains aliments ?
On pense que le régime cétogène et le régime à faible indice glycémique peut être prometteurs dans le contrôle des maux de tête et de la migraine en atténuant l’état inflammatoire. Chez les personnes en surpoids, l’application de stratégies alimentaires pour perdre du poids peut également atténuer les maux de tête ou la migraine. Une autre intervention alimentaire importante qui pourrait être efficace dans l’amélioration des maux de tête et des migraines est liée à l’équilibre entre l’apport d’acides gras essentiels, les oméga-6 et les oméga-3 qui affectent également les réponses inflammatoires, la fonction plaquettaire et la régulation du tonus vasculaire32. En ce qui concerne les régimes d’élimination, il semble que cibler ces régimes chez les patients souffrant de migraine ayant une sensibilité alimentaire pourrait être efficace dans la prévention des céphalées / migraines. Les personnes souffrant d’allergies alimentaires ont une perméabilité intestinale accrue par rapport à des témoins sains33. L’hypothèse reliant le rôle des allergènes alimentaires dans la migraine a été peu étudié34,35(Alpay et al., 2010). Cependant, certaines études récentes suggèrent un rôle des allergies alimentaire médiées par les IgG dans la migraine36,35, une hypothèse qui mérite d’autres investigations.
En résumé, les approches diététiques qui pourraient être considérées comme des stratégies efficaces dans la prophylaxie des maux de tête et de la migraine comprennent les régimes amaigrissants chez les patients obèses souffrant de céphalées, les régimes cétogènes et hypocaloriques, la réduction des oméga-6 et l’augmentation des apports en acides gras oméga-3.
En conclusion,
De plus en plus de preuves montrent que les changements dynamiques dans l’écosystème intestinal peuvent altérer la physiologie et le comportement du cerveau. On pensait à l’origine que la cognition n’était régulée que par le système nerveux central. Cependant, il devient maintenant clair que de nombreux facteurs du système non nerveux, y compris l’état de la muqueuse intestinale ou les bactéries du tractus gastro-intestinal, régulent et influencent le dysfonctionnement cognitif ainsi que le processus de neurodégénérescence et les maladies cérébrovasculaires. Des facteurs extrinsèques et intrinsèques, y compris les habitudes alimentaires, peuvent perturber la muqueuse intestinale et le microbiote. Les microbes libèrent des molécules qui peuvent activer le système immunitaire et déclencher la production de cytokines pro-inflammatoires qui circulent jusqu’au système nerveux central, ce qui contribue grandement à la pathogenèse des troubles du cerveau tels que la migraine, la dépression, l’anxiété, l’autisme, les maladies d’Alzheimer, la maladie de Parkinson et l’AVC. A côté de la migraine, d’autres maladies neurologiques ont en effet été associées à une augmentation de la perméabilité de l’intestin. Celle-ci comprennent la dépression, l’anxiété, l’autisme, et le stress37,38,39.
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Sources
A propos de l’auteur
Karine Bernard
Naturopathe, formatrice, conférencière et docteur en sciences (spécialité immunologie), je suis la fondatrice de la méthode ISIS “Solutions en immunomodulation intégrative et systémique”. Je suis également à l’origine du site immunonaturo.com, un blog dédié à la santé et au bien-être qui fait la part belle à votre système immunitaire.